Source : FDA entretien avec Jean-Marie LE PEN
FDA : Le résultat des législatives a été analysé par beaucoup comme une défaite pour le FN…
Jean-Marie Le Pen : Il est difficile en effet de considérer ce résultat comme une victoire puisque nous faisons 1,1 million de voix alors qu’un mois auparavant je recueillais 3,9 millions de suffrages. Une forte déperdition par rapport à une élection présidentielle qui a été déjà décevante pour nous qui avions l’espoir de renouveler le succès de 2002.
Le 22 avril, nous avons perdu un million de suffrages. Mais il faut dire que la situation était sensiblement différente, ce que ne comprennent pas toujours les gens qui confondent politique et arithmétique. En 2002, j’avais en face de moi deux candidats de gauche. Un officiel M. Jospin, et un officieux, beaucoup plus redoutable, M. Chirac, sans lequel d’ailleurs les socialistes ne seraient sans doute jamais revenus au pouvoir sous la Ve République. Il est sûr qu’un certain nombre d’électeurs nationaux, peut-être RPR, ont voté pour Le Pen plutôt que pour Chirac. Cette fois-ci c’était l’inverse, nous avions deux candidats de droite : Bayrou, qui quoi qu’il dise est un homme de droite, et Sarkozy, très bien préparé pour cette campagne, qui non seulement s’appuyait sur des réseaux nationaux et internationaux considérables, dans tous les milieux financiers, économiques, sociaux, politiques, médiatiques, etc. mais qui, à la fin de sa campagne, a emprunté à notre vocabulaire et à nos concepts une position nationale qui a trompé et séduit des millions d’électeurs. Il a repris le million d’électeurs RPR qui en 2002 s’était porté sur nous. Nous sommes donc arrivés en quatrième position, mais il est vrai que depuis des mois tout l’appareil médiatique et les instituts de sondage annonçaient que le second tour était déjà joué, que ce serait une finale “entre Sarko et Ségo”.
Et puis arrivent les législatives dans la foulée, dans le cadre du quinquennat avec l’automatisme prévisible des législatives et de la présidentielle, le mouvement s’est considérablement aggravé. Mais ce n’est pas un cas unique, puisque dans au moins deux circonstances, en 1968 et en 1993, la droite a fait 70 % des sièges, ce n’est pas cela qui est extraordinaire. Ce n’est donc pas cela qui est extraordinaire, c’est qu’il y a eu 40 % d’abstention et que parmi ces absentionnistes, il y a eu beaucoup d’électeurs du Front National. D’après les sondages effectués, près de six électeurs sur dix qui ont voté Le Pen le 22 avril n’ont pas été voter le 10 juin.
FDA : Comment l’expliquez-Vous ?
Jean-Marie Le Pen : Tout d’abord parce que les Français ignorent largement qu’il y a un rapport entre le nombre de voix obtenu au premier tour des législatives et le financement des partis. Mais aussi, et surtout, parce qu’on leur a dit qu’il n’y avait aucune chance que le Front National ait des députés, provoquant sans doute dans l’esprit de beaucoup de gens le réflexe de se dire “après tout, si le FN ne peut pas avoir de députés autant rester chez nous ou partir en weekend”. Malheureusement, cela s’est traduit tragiquement pour nous par l’explosion d’une dette, parce que nous avions fait de grands emprunts. 360 de nos candidats n’ont pas passé la barre des 5 % et ne seront donc pas remboursés, pour des sommes qui oscillent entre 20 000 et 30 000 euros. Or beaucoup de ces candidats sont des gens modestes, pour qui ces sommes représentent des fortunes qu’ils n’ont peut-être jamais eues sur leur compte en banque. Mais ils ont fait confiance puisque en vingt-cinq ans cela ne s’était jamais produit pour le FN. Comme quoi le malheur est au coin de la rue.
FDA : Vous venez de lancer une souscription nationale pour aider le FN a surmonter cet écueil financier…
Jean-Marie Le Pen : J’ai lancé plus qu’une souscription, un SOS Front National, parce que si nous ne parvenons pas à résoudre notre problème financier, nous ne serons plus en mesure d’assumer le rôle que l’histoire nous a imparti, à savoir la défense des idéaux patriotiques, de la France et des Français. Si les Français ne participent pas, non seulement sur le plan financier mais aussi sur le plan intellectuel, affectif, politique à la défense de la France, il est bien évident que ce ne seront pas les quelques dizaines de milliers de militants du FN qui pourront porter la France sur leur dos. La réponse à nos problèmes dépend maintenant des Français ! Il ne faut jamais désespérer, la vie commence toujours demain, mais la situation financière qui est la nôtre va nous obliger à des restrictions de nos dépenses qui seront drastiques et cruelles, à la diminution de notre rayonnement, même si la concentration aura sûrement aussi des effets bénéfiques. Mais pour entrer en contact avec nos compatriotes, il faut un certain nombre de moyens qui vont pour nous se trouver diminués.
FDA : Quelle est donc la marge de manœuvre politique du FN dans la grave situation que vous venez de nous décrire ?
Jean-Marie Le Pen : Nous devons faire face, convaincus que nous sommes que Sarkozy ne pourra pas ou ne saura pas résoudre les problèmes dramatiques qui sont ceux de la France et qui n’ont cessé de s’aggraver tout au long de ces mois ou a régné une certaine euphorie, fille de cette campagne électorale en strass, projecteurs et feux d’artifice. Le FN doit garder la place qui est la sienne, celle du guetteur au créneau, de celui qui ose dire la vérité. Peut être est-ce là aussi le secret de mon insuccès. J’ai cru que les Français étaient très mécontents de la manière dont M. Chirac avait géré la France et qu’il allait y avoir une vague, dont tout naturellement je pensais que le Front National allait bénéficier. Cela aurait été justice, lui qui avait eu le courage de dire la vérité aux Français. Malheureusement, je crois que notre pays n’est pas préparé à savoir la vérité et qu’il a préféré somme toute le mensonge. Saint Jean a dit “C’est la vérité qui nous rendra libres”, pas cette fois-ci en tout cas ! Cette volonté d’objectivité, d’honnêteté qui est celle du FN est peut-être en démocratie le plus grand des handicaps. Car c’est le mensonge qui a triomphé. Et je pense que la France, très malade, ne souhaite pas que le médecin lui dise la gravité de son état, ni la difficulté du traitement qu’il faudra suivre pour se guérir… Les Français ont préféré la poudre de perlimpinpin du docteur Sarkozy au diagnostic lucide du docteur Le Pen !
FDA : Ce revers subi par le FN est-il conjoncturel ou structurel ?
Jean-Marie Le Pen : Il s’agit à mon sens d’un revers conjoncturel, encore qu’il soit de plus en plus difficile de mener des campagnes électorales sans des soutiens extrêmement coûteux que sont les soutiens médiatiques…
L’américanisation de notre système politique se traduit aussi dans les campagnes électorales où il faut maintenant des centaines de millions d’euros pour se lancer dans la bataille politique. Au fond, la devise de la Ve République pourrait être “à bas les pauvres !”. Pourtant à l’indice de performance, dans le rapport investissement et résultat, le Front National est le champion, il n’y a pas de comparaison. Notre mouvement se mesurait à des partis comme l’UMP, 300 000 adhérents, 100 000 conseillers municipaux, des centaines de conseillers régionaux, généraux, de députés, de sénateurs, des finances considérables. Et puis il était au pouvoir, il avait les moyens de la République et donc la crédibilité des gens qui sont en place, des gens qui disent : “Oui ça marche mal, mais j’ai changé, et comme j’ai changé, tout va changer.”
FDA : Vous avez justement mis en garde nos compatriotes ces derniers mois sur le “talent d’illusionniste” de Nicolas Sarkozy…
Jean-Marie Le Pen : Incontestablement, M. Sarkozy a du talent, de l’énergie, du dynamisme. Il est certain qu’il a un atout exceptionnel : il ne sort pas de l’ENA, c’est une des clés de son succès en dehors de ses qualités propres. Aucun homme politique de l’Établissement n’a expliqué avant lui sa politique dans ces formes-là. Je préciserai que nous sommes dans un monde politique où il est difficile d’être objectif, parce que si vous l’êtes vous semblez donner raison à vos adversaires. Mais je crois que malgré les qualités de l’homme, la direction qu’il prend n’est pas la bonne.
FDA : Vous avez annoncé la tenue du prochain congrès du FN…
Jean-Marie Le Pen : Il se tiendra les 17 et 18 novembre à Bordeaux. Il m’a semblé qu’il fallait le tenir assez vite car nous étions tenus par nos statuts de le faire dans des délais rapprochés. L’enjeu du Congrès n’est peut-être pas aussi attractif que d’aucuns auraient pu le penser car j’ai annoncé que je comptais redemander la confiance de nos adhérents pour un mandat supplémentaire de Président du Front National, poste que j’occupe depuis 35 ans. Il m’a semblé que, dans la grande difficulté, le commandant ne doit pas prendre sa retraite, mais rester à bord et plus que cela, monter à la passerelle pour se mettre au service du paquebot, de l’équipage et de ses passagers ! Je peux d’ores et déjà vous annoncer que nous allons réorganiser l’assemblée générale qui va désormais adopter les méthodes d’à peu près tous les grands partis et de toutes les grandes organisations financières et sociales, à savoir le vote direct de tous les adhérents. Vote direct s’ils sont présents, ou par courrier s’ils sont absents. Nous allons certainement remettre sur le chantier toutes les choses dont on disait auparavant “on ne change pas des équipes ou des méthodes qui gagnent”. Peut être était-ce erroné, on aurait pu gagner plus ou parer l’éventualité d’un risque, lequel par définition est souvent imprévisible. Le bateau de mon père s’appelait “Persévérance” c’est donc que mon papa estimait qu’il s’agissait de LA qualité principale !
FDA : Quid des municipales et des cantonales ?
Jean-Marie Le Pen : Dans la mesure de nos moyens, nous allons participer à ces élections. Comme ce sont des élections très locales c’est évidemment la détermination et la prise de risque de nos responsables départementaux, municipaux, locaux qui sera le critère, nous ne forcerons personne à aller à la bataille. Ceux qui se sentent en position de passer la barre des 5 % et de conquérir des sièges nous les encouragerons vivement à le faire mais nous ne serons pas en position de les aider beaucoup sinon par notre soutien politique. Mais nous ne sommes pas les seuls dans cette situation et dans ces élections législatives, nous sommes encore parmi les premiers partis en termes de suffrages, c’est dire ! Nous battons même le Parti communiste de 300 voix malgré son implantation dans encore un millier de communes, deux ou trois départements, le soutien des syndicats etc. Nous n’avons pas eu l’humiliation de voir Mme Buffet qui a fait 1,9 % à la présidentielle là où j’ai fait 10,4 % passer devant nous aux législatives. Mais ils ont des députés grâce à leurs accords avec le PS notamment, accord que la droite n’a pas respecté en ce qui nous concerne puisque dans la seule circonscription où Marine avait atteint 24 % au premier tour, les partis de droite UMP et Modem ont appelé à voter pour le candidat du PS. Et malgré tout cela, elle a fait 42 %, c’est certainement l’hirondelle, qui ne fait certes pas le printemps, mais qui l’annonce !
FDA : Pour l’UMP un député FN c’est encore un député de trop apparemment…
Jean-Marie Le Pen : Nous sommes encore au ban, qu’est-ce qui leur fait peur ? Je ne sais pas, la vérité peut-être…
FDA : Dans le même temps l’ouverture à gauche du gouvernement s’est accentuée au lendemain du 17 juin.
Jean-Marie Le Pen : Nicolas Sarkozy pousse au bout la logique de l’américanisation de la campagne et de sa médiatisation. Nous sommes dans l’ère du paraître.
FDA : Qu’avez-vous dit à Nicolas Sarkozy qui vous a reçu le 19 juin à l’Élysée ?
Jean-Marie Le Pen : C’était la première fois depuis plus de trente ans ! Mais il est vrai que je ne suis pas un homme de cour, je ne fais rien pour me rapprocher de ces “grands”, ni des ors et des tentures officielles, cela me laisse sincèrement assez indifférent. J’ai dit au président de la République que, dans la ligne de ce qu’il nous a empruntés de notre programme, ce qu’il fera de bon pour la France nous l’approuverons, nous ne combattrons que ce que nous estimerons être contraire aux intérêts de la France. Même si nous aurions des raisons de le faire, nous ne ferons pas d’excessifs procès d’intention. Encore que, comme je le lui ai dit, “alors que la France a rejeté le fédéralisme européen avec une majorité très importante vous allez représenter un projet qui y ressemble”. Il m’a répondu qu’il n’en avait pas fait mystère pendant sa campagne, qu’il avait clairement affirmé qu’il prendrait la voie parlementaire pour faire adopter un traité réduit. Il m’a répété qu’il considérait que la Turquie n’était pas un pays européen, qu’il était favorable à la multiplication des partenariats avec ce grand pays mais qu’il n’a pas caché à M. Erdogan qu’il considérait que son pays était un pays d’Asie mineure.
FDA : Pensez-vous que cette invitation du président de la République participe de sa politique de séduction de l’électorat national ?
Jean-Marie Le Pen : Il y a sûrement de cela en effet mais ce n’est pas illégitime en soi. Le président Sarkozy avait dit “j’inviterai les leaders des partis politiques à parler de l’Europe et à parler des institutions et de leur fonctionnement”. Il l’a fait avec un certain mérite. Ce n’est pas plus mais ce n’est pas moins que cela. Pour le reste, j’ai de grands sujets d’inquiétude sur la place qui a été donnée aux européistes dans le gouvernement.
FDA : C’est-à-dire ?
Jean-Marie Le Pen : Je pense bien évidemment à la place prépondérante prise par les socialistes Kouchner, Jouyet, Bockel dans le domaine de la diplomatie et des relations avec l’Europe. Mais aussi aux postes clés confiés à Hervé Morin dans le domaine de la Défense, à Michel Barnier à l’Agriculture, ex-commissaire européen à l’Agriculture, un euromondialiste convaincu, sans même parler de Christine Lagarde aux Finances dont les mérites ont été le rôle qu’elle a joué aux Etats-Unis, sa présence dans le plus gros cabinet d’affaires américain… C’est aussi un penchant de Sarkozy qu’il n’a pas caché pendant sa campagne, qui est d’ailleurs contradictoire avec les thèmes et les concepts qu’il nous a empruntés.
FDA : Reste que les promesses “nationales” de Sarkozy seront selon vous inopérantes du fait du carcan européiste…
Jean-Marie Le Pen : Dans la mesure où le pouvoir c’est la souveraineté, la capacité de faire et que 80 % des lois qui s’appliquent dans notre pays ne sont pas décidées à Paris mais à Bruxelles et que tout renforcement du processus d’européisation aura pour conséquence, quoi qu’on dise du principe de subsidiarité, de limiter encore nos capacités de nous diriger nous-mêmes. Or, je ne crois pas que l’on puisse nous, comme les États-Unis d’Amérique, fédérer des États dont les histoires, les coutumes, les langues sont si différentes alors je crains que tout cela ne soit qu’un théâtre d’ombres. Je suis au Parlement européen depuis 22 ans et je constate que l’esprit qui règne n’est pas un esprit nationaliste européen mais un esprit mondialiste et mercantile. C’est la philosophie humanitariste de la pensée unique. Rien de tout cela ne milite pour distendre les liens de protectorat qui existe entre les États-Unis et l’Europe, au contraire. Alors il ya des gens qui admettent parfaitement, qui souhaitent que nous soyons un protectorat américain, voire même un État américain comme la Californie ou le Connecticut. Ce n’est pas mon cas ! Cela n’implique pas, contrairement de ce que l’on dit de nous, de haine ni même d’aversion à l’égard de tel ou tel autre pays. Je crois au phénomène national, je pense que la nation reste la structure la plus efficace pour défendre l’identité, la pérennité, la sécurité, la prospérité d’un peuple.
Propos recueillis par
Georges-Henri Moreau